CHRONIQUES CADACIENNES

D'Anne-Cécile PAREDES et du Collectif OLA

Création en 2021

Une création d'Anne-Cécile PAREDES et du Collectif OLA, pour un territoire, à l'invitation de Pronomade(s) CNAREP en Haute-Garonne, en collaboration avec Le CADA de Saint-Martory / ADOMA

Johann Mazé, Sophie Fougy, Gweanëlle Larvol, Samuel Boche, Virginie Terroitin, Anne-Cécile Paredes

Administration/Production déléguée : Sylvie LALAUDE et Philippe RUFFINI

Suite au projet « La Nappe et le territoire » qui a réuni des élèves de CM1-CM2 de l'école de Saint-Martory dans le Comminge, des demandeur·se·s d’asile, des cuisiniers du territoire, la Compagnie OLA, Pronomade(s) en Haute-Garonne et Opéra Pagaï ont décidé de s'associer autour d’un nouveau projet artistique et culturel, à destination des demandeurs d’asile du CADA de Saint-Martory...

 

C’est l’histoire de Saint-Martory, un village de 900 habitants dans le Comminge, au sud de Saint-Gaudens, qui, en 2016 par décret préfectoral, accueille un CADA. Un Centre d’Accueil de Demandeur d’Asile. Un acronyme qui nomme un lieu de vie. Un lieu où l'on attend que d'autres décident. 50 nouveaux habitants. 50 sur 900.

Une tornade ? Un événement ? Qu’est ce que cela change dans le paysage ? Des "personnes de couleurs" longent la départementale, ils sont plusieurs, ils sont nombreux. Qu’est ce que cela change dans la vie des gens ? Pour certains, pas grand chose, pour d'autres, ça change tout. Ceux qui vivent ici.

Nous sommes au : 0 Rue de la Gare. 31360 Saint Martory.

Au début, les voyageurs arrivent seuls, ils s’adaptent, ils s’ennuient, ils n’ont pas le droit de travailler. Il leur reste le déplacement, ils sont en mouvement. Ils viennent de loin. De loin comme on l'imagine, et de plus loin encore. Ils ont des enfants, commencent à les mettre à l’école, vont au bar, prennent le bus, marchent sur les chemins... De Netto à Chez Kiki, le bar emblématique du village, de la déchetterie à la Poste. Petit à petit, ils habitent Saint-Martory.

Des cadaciens de Saint Martory. Au 0 Rue de la Gare.

On ne décide pas de quitter son pays. C'est la violence et la pauvreté qui vous jettent dehors. On ne décide pas de vivre à Saint-Martory quand on vient de loin, là-bas. C'est la France qui t'installe là, à durée indéterminée.

Imaginez une file d'attente, ils ont pris leur ticket sagement. Ils sont très sages, ils n'ont pas le choix. Ils ne savent pas quand viendra leur tour. Certains sont arrivés après, mais partent avant, ou le contraire. Il n'y a pas de règles ou alors nous ne l'avons pas comprise. Eux non plus. Et d'ailleurs pas même les juristes, les éducateurs, les administrateurs qui les accompagnent dans cette interminable latence. Ils habitent une salle d'attente à ciel ouvert. Ils sont en pause. Alors, qu'est ce qu'on fait en attendant ? En attendant…

En attendant… Manger. Dormir. Se lever. Se regarder dans le miroir de la salle de bain, se reconnaître ou reconnaître qu'on a changé. Amener son gosse à l'école. Faire le ménage. Ranger ses affaires dans sa chambre. Descendre au bureau. Ouvrir la boîte au lettre vide ou ne pas comprendre les mots de la lettre. Aller à Netto. Attendre le train, le bus, la voiture qui s'arrêtera et vous prendra en stop. Courir chez le dentiste, prendre un Doliprane. Attendre. Marcher. Aller à Netto. Chercher un Doliprane. Manger tard. Dormir plus tard. S'assoupir. Se réveiller dans la nuit. Prendre l'air sur le balcon. S'engouffrer dans Youtube. Regarder le ciel, la nuit, se dire que les étoiles ne sont pas les mêmes dans son pays aux milles collines. Attendre le matin et s'endormir à 7h, épuisé. Epuisé par une nuit qui ne se laisse pas faire. Se réveiller à 14h. Ne pas se reconnaître. Boire un café au gingembre très sucré. Ne pas comprendre la langue de l'autre. Aller à Netto. Manger à 17h. Aller à Netto, regarder les prix. Retourner à Netto, acheter. Les meilleurs clients de Netto.

Ils s'appellent Liebe, Yama, Youssef, Sounounou et Alliance, ils seront les guides de cinq déambulations sonores qui vous conduiront jusqu'à une installation photographique et culinaire à Saint-Martory au mois de juin.

Créer avec des personnes c'est avant tout se poser la question de la réciprocité. Avant de mettre scène des récits collectifs, qu'apportons nous dans la vie de celles et ceux qui les nourissent ?

 A Saint Martory, avant d'imaginer nos rendez-vous du mois de juin, nous avons fabriqué collectivement 18 tables basses, 82 tabourets, 30 abats-jours, 90 coussins, 45 bloc-portes, 30 rideaux, 30 plans de travail pour leurs cuisines, 15 étagères pour la salle bain. Cette gamme de mobilier designée par OLA vient s'installer dans les 15 appartements pour améliorer la vie quotidienne de celles et ceux qui suivront.

Pendant ces ateliers nous nous sommes rencontrés, nous avons créé des complicités et petit à petit un projet artistique est né. Nous repensons avec tendresse au "don contre don" de Robert Filiou, au potlach des indiens d'Amérique du Nord, nous nous sentons privilégiés.