DES RIVES LA NUIT
  

Création en 2010

Durée : 1 nuit entière

Public : Tout public

Une création d'Opéra Pagaï

Ecriture et mise en scène : Cyril JAUBERT

Collaboration à l'écriture : Ximun FUCHS

Collaboration direction d'acteurs : Christophe CHATELAIN, Ximun FUCHS

Médiation et coordination : Ingrid HAMAIN

Direction Technique : Raphaël DROIN, Philippe RUFFINI

Avec : Lilia ABAOUB, Yvonne ALDIERES, Christophe ANDRAL, Cécile AUBAGUE, Patrick AUZIER, Cécile BAYLE, Bruno BEZIADE, Marie-Françoise BOUGEARD, Véronique CAILLE, Sophie CATHELOT, Christophe CHATELAIN, Clovis CHATELAIN, Marcel CHATELAIN, Bénédicte CHEVALLEREAU, Vincent CLAVERIE, Cathy COFFIGNAL, Dominique COMBY, Nicole DEBUIRE, Camille DECOURTYE, Pierre DE MECQUENEM, Marc DEPOND, Eric DESTOUT, Michaël DIEU, Battitt ELISSALDE,  Chantal ERMENAULT, Elorri ETCHEVERRY,  Alice FAHRENKRUG, Manuch FUCHS, Ximun FUCHS, Sébastien GENEBES, Laurent GIROUD, GUS,  Isabelle GUYOT, Guillaume GRISEL, Elodie HAMAIN, Lionel IENCO, Marion JAMET, Cyril JAUBERT, LARZAC, Katell LEBRETON, Guillaume MEZIAT, Muela MUALU, Jean-Noël OBERT, Thierry PAULO, Philippe RUFFINI, Tof SANCHEZ, Pierre SARZACK, Marie-Leila SEKRI, Laure TERRIER, Benjamin VIGUIER, Marik WAGNER, Eve, Les Urbaindigènes, Les Vernisseurs.

Un an de préparation pour une nuit, ça n’est pas rentable, ça n’est pas logique, c’est absurde, mais c’est rare donc c’est précieux, voire unique, alors ça n’a pas de prix…

DES RIVES LA NUIT est une invitation de Pronomade(s) en Haute –Garonne, à créer un spectacle pour 400 spectateurs, toute une nuit, du crépuscule à l’aube… Un spectacle d'une durée de 8h dans 10km2, à l’échelle d’un canton. Il impliquait plus de 80 comédiens répartis dans les bourgs, les hameaux et les fermes. Un immense théâtre à ciel ouvert où les spectateurs se déplaçaient par petits groupes de 40 en bus, en tracteur, à pied… Une véritable épopée nocturne dont le spectateur était le héros. Une aventure théâtrale et humaine extraordinaire, extravagante, une grosse logistique pour le genre d’aventure que l’on vit toujours avec gourmandise et jamais sans sueurs froides, un projet que nous avons partagé avec nos précieux amis du Petit théâtre de Pain, mais aussi du Pudding Théatre, Des Vernisseurs, de l’Agence Tartare, de Baro d’Evel et encore bien d’autres...

Les premières résidences ont eu lieu un an et demi en amont et se sont renouvelées toute l’année à raison de quelques jours par mois. Comme à notre habitude, les repérages se mêlent aux rencontres, discussions, lectures. Ce sont de véritables « immersions ». Voilà ce que nous en écrivions à ce moment-là :

« Pour préparer cette nuit : des journées à éplucher le territoire du Comminges, de villes en villages, de fermes en hameaux. À errer sans but parce que pour trouver, il faut se perdre. À écouter chaque habitant, à lire chaque paysage pour y tirer le fil de notre histoire, pour écrire cette aventure dont nous aimerions tant être le spectateur. Faire se télescoper les réalités et les fantasmes de ce coin de Comminges et celle de notre monde du XXIe siècle. Trouver le macro dans le micro, le magot dans le nigaud, la lune dans le caniveau. Donner un grand coup de pouce à la réalité pour inventer la folle épopée dont nous aurions rêvé étant enfant.  »

 

Il s’agissait d’écrire un spectacle en s’appuyant sur la réalité quotidienne, sociale, culturelle de ce territoire et de mettre en scène cette fiction de manière très réaliste dans les lieux de vie et de travail de ses habitants…. Christian Saint-Raymond était de ceux-là :

« Ici, on a plutôt une vie de boulot, de travail, avec un peu de sport. Le foot, mais c’est tout. Et là, j’étais curieux de voir où ils nous emmenaient… Et ils le font avec la Manière, en sachant écouter les autres. J’étais impressionné par la solidarité, le partage entre eux, chacun à sa place. Et nous, nous avions notre action à faire, modestement mais nécessairement. C’était un projet irréel pour moi, ici à Puymaurin. Et un projet qui parlait de nous. Ça m’a touché en plein cœur, car tout mon passif était là, exposé, sans exhibition. Simplement juste. »

 

Les habitants pour beaucoup étaient parties prenantes du projet. Ils nous prêtaient leurs prés, leurs cours, leurs étables, leurs maisons, nous aidaient à la construction ou conduisaient les spectateurs avec leurs tracteurs : « Des rives, la nuit » mettait en scène leur propre histoire si on peut dire.

Avant de raconter cette fiction, lisons d'abord ce qu’en a pensé une spectatrice :

"DES RIVES LA NUIT, c'est pour moi la rencontre du merveilleux et du réel, c'est un conte qui nous parle de nous, de notre terre, de nos paysans, de nos voisins, de nos exclus, de nos ferrailleurs, de nos gitans... et de notre relation (individuelle et collective) à la terre, aux paysans, aux voisins, aux exclus... à ceux qui vivent là  sans qu'on les voie. "Des rives la nuit" c'est un récit merveilleux avec une dimension politique, ce spectacle nous transporte ailleurs en même temps qu'il évoque l'ici et le maintenant et c'est là la grande réussite de votre écriture que l'on sent fondée dans la réalité vécue et rencontrée d'un territoire et de ses habitants.

Cette nuit  fut tour à tour étonnante, émouvante, drôle, déroutante, "dérivante", enivrante. Merci pour ce spectacle hors d'échelle au point de vue temporel, géographique, émotionnel. Merci de nous avoir fait voyager pendant toutes ces heures dans cet univers unique et audacieux, grandiose dans son écriture et sa logistique et à la fois très accessible. C'était immense et à la fois très simple, c'était hors d'échelle et à la fois à notre échelle. "

— Pauline S.

 


L'HISTOIRE

 

  • 1. LA MENACE (Gymnase de l'Isle en Dodon) de 21h30 à 22h30

 La seule indication qui était donnée aux spectateurs automobilistes était de suivre la direction de l'Isle-en-Dodon à partir du petit village d’Anan. Quelques petits kilomètres plus loin, la route était barrée par de faux représentants de la maréchaussée et de la préfecture. Les véhicules étaient déviés vers le parking du gymnase municipal tout proche, ou leurs occupants étaient accueillis par le seul élu municipal présent, un peu affolé :  

 « Météo France a communiqué à la municipalité un bulletin de pré alerte orange de niveau 1 : il y aurait éventuellement un risque d’évènement climatique. Pour l’instant nous ne savons pas s’il va avoir lieu mais, en vertu du principe de précaution, toute circulation est momentanément suspendue par arrêté préfectoral ! »

 Là, au fur et à mesure de leurs arrivées, les spectateurs trouvent refuge dans le gymnase ou les employés des services techniques amènent des couvertures et des lits de camp en vue d’y passer la nuit. Les bénévoles du secours populaire local font du café et distribuent des gâteaux pour les réconforter. A l'arrivée du directeur de cabinet du préfet qui prend les opérations de secours en main, l'alerte est passée de niveau 1 à 2. Des journalistes suivent l'évènement, un poste de Commandement des opérations de secours se met en place dans le gymnase, les pompiers sont sur les lieux. Et puis le niveau d'alerte continue de monter.  Du niveau 2 au niveau 3. Alors la nouvelle tombe, le gymnase est trop prêt de la Save ... la rivière célèbre pour ses crues dévastatrices. Toujours pas de nuage à l’horizon mais il y a toujours la possibilité du risque d’une menace potentielle. Par application du principe de précaution et dans la précipitation, un plan d'évacuation de tous ceux qu'il faut bien appeler maintenant les « naufragés de la route » est décidé par les pouvoirs publics : le directeur de cabinet. Répartis en huit groupes de 40 personnes, ils vont être acheminés en bus sur les hauteurs de la campagne environnante où ils devraient être accueillis par les habitants pour y passer la nuit à l’abri.  

 

  • 2 . LA DERIVE de 23h à 3H (Vallée autour de Puymaurin)

 Dans cette partie, nous souhaitions traiter de l’âpreté de la condition d’agriculteur aujourd’hui, de la sensation de voir un monde disparaitre dans la douleur,  de l’isolement physique au sein d’un système mondialisé, de la chaleur humaine sous la rudesse, de la tendresse sous la dureté, de la méfiance envers l’autre, du fantasme de l’étranger, de l’arrivée des néo ruraux, de la cohabitation des différences…

 Le chauffeur de bus a dû se tromper de destination et les naufragés n'arrivent pas forcément dans des endroits où il sont attendus. Il est près de 22h30 et  pour chaque groupe commence une lente dérive dans la nuit de fermes en hameaux, par les champs et les chemins, à pied, en tracteur et même en bus. Dans chaque ferme une nouvelle aventure : une fête de mariage finissante est relancée par l'arrivée des « naufragés de la nuit », un couple de vieux paysans acariâtres et menaçants les reçoit dans leur maison d'un autre âge, une famille de riches propriétaires « de la ville » leur offre le gîte et le couvert dans leur château, enfin, ils tombent dans un campement de ferrailleurs, les marginaux de cette campagne.

 Dans cette dérive, chaque histoire fait écho à une autre… On découvre des personnages dont on a entendu parler dans la scène précédente. On pourrait dire que nous avons affaire-là à une double dramaturgie. Chaque lieu investi propose un univers, une petite histoire,  une scène d'une quarantaine de minutes. Mais en filigrane, la « menace »  climatique est toujours là. Le principe de précaution est le moteur de l'évolution des spectateurs. L'écoute des informations à la radio ou l'irruption d'un personnage dans la scène annoncent  une nouvelle augmentation du niveau d'alerte et pousse ou propose aux spectateurs de se remettre en quête d'un abri plus sûr. Chaque trajet intermédiaire dure une vingtaine de minutes et permet d'éprouver le « territoire » et le paysage nocturne. Dans cette « errance », les « spectateurs » sont « seuls ». Ils peuvent être accompagnés par des personnages d'un lieu à l'autre, mis sur le chemin, mais ils ne sont jamais guidés.

À trois heures du matin, nouvelle information, le niveau de « menace éventuelle » est passé de 7 à 8. Des fusées de détresse strient le ciel et éclairent toute la vallée. C'est le signal annoncé à la radio, tous les naufragés doivent rejoindre le point le plus haut des environs. Alors, des quatre coins de la vallée, les groupes vont converger vers le village de Puymaurin, perché sur un nid d'aigle dominant les autres sites. Le directeur de cabinet du préfet fait des allers-retours avec un bus pour amener en lieu sûr ses « réfugiés climatiques ». Des groupes arrivent sur une remorque dont le tracteur est conduit par un agriculteur bienveillant, d'autres gravissent les derniers chemins qui mènent au village.

 

  • 3. LES GENS DE LA NUIT de 3h à 4h30 (Village de Puymaurin)

 La nuit profonde, après la réalité crue de la première partie du spectacle, nous invitait naturellement à entrainer les spectateurs dans un univers onirique et touchant comme on glisse dans un rêve éveillé. Une promenade surréaliste dans un monde merveilleux comme les histoires qu’on raconte aux enfants, qu’on peut écouter en s’endormant. La véritable histoire du village de Puymaurin, qui a été attaqué par les protestants en 1580 pendant les guerres de religions, allait nous fournir un bon point de départ….

                     Les spectateurs vont découvrir que ce village, qui semble dormir profondément, grouille en fait d'une vie cachée. Voilà l'histoire qu'ils comprennent : le village de Puymaurin a été attaqué et occupé par les huguenots en 1580. Ce que personne ne sait, c'est que des habitants terrorisés de cette époque se sont cachés dans les greniers, les caves et les recoins pour échapper aux occupants. Ils ont réussi à survivre. Ils se terraient le jour et ne sortaient qu’à la nuit pour se nourrir. Ils n'ont plus revu la lumière du jour. Seul moyen de survie, ils ont fini par adopter un mode de vie totalement nocturne. Personne n'a jamais deviné leur présence, leur vie parallèle. Au fil des générations, ils se sont adaptés et ont évolué. Ils sont devenus des « gens de la nuit ».  Ils sont poussiéreux et vêtus de noirs, se glissent silencieux sur les toits pour capturer les chats dont ils se nourrissent. Ils pénètrent dans les maisons, à l'heure où tout le monde dort , pour subtiliser de la nourriture, des habits, et des lampes qu'ils portent au front, leur éclairant le visage et leur donnant des airs de « vers luisants » furtifs dans la nuit. Pour ne pas être repérés, leur langage chuchoté mélange vieil occitan et cris d'animaux nocturnes. 

Arrivés au village, les spectateurs sont donc accueillis par le plus téméraire et le plus bavard d’entre eux, bientôt rejoint par tous les autres  « gens de la nuit ». Pour la première fois, ils vont leur montrer les réalités de leur vie nocturne, leur faire visiter en silence leur monde caché : les couches dans la paille des greniers, les plantations d'endives et de champignons dans les caves oubliées, les stocks de produits volés dans le recoin d'une petite grange, l’abattoir à chat et le box à chevaux dans la cuisine d'une maison abandonnée... Un monde étrange et silencieux éclairé à la lueur de lampes de poche ou de bougies. Ils sont partout, derrière chaque porte, un univers merveilleux et laborieux...

 Cette communauté secrète, ces « gens de la nuit »  accueillent « ces gens du jour » avec intérêt. En effet, par peur, ils ont appliqué jusqu'au bout le principe de précaution, ils ne sont jamais sortis le jour pour éviter d'être vu.  Mais du coup, cette petite communauté est devenue consanguine. Les gènes n'étant plus régénérés par des apports extérieurs, les femmes ne tombent plus enceinte depuis longtemps... L’extinction menace.  Alors, ils se sont souvenus d'une vieille légende de leurs ancêtres : « Au solstice d'été, un jour d'inondation, des hordes de gens du jour viendront féconder nos femmes et régénérer la communauté... »

Nous sommes au solstice. Les gens de la nuit attendent donc l'arrivée de leurs sauveurs. Avec grand respect, ils les guident dans les passages secrets de leur village. Comme des passes-murailles, ils passent furtivement de bicoques abandonnées en greniers, prennent venelles sombres et portes dérobées, traversent silencieusement les maisons habitées. En haut du village, ils font pénétrer les spectateurs dans la petite église. C’est « nuit de fête ». L’église est vide de chaises et remplie de paille. La lumière tamisée redessine son architecture. Les spectateurs, allongés dans la paille, assistent à un étrange et doux cérémonial : «  L'adieu au soleil », une ode à la lumière, à la flamme, rituel de ceux pour qui un jour il a totalement disparu. Un chant païen, une voix de haute-contre envahi doucement l'église, des femmes de la nuit entament une danse prénuptiale, des spectateurs s'assoupissent, comme dans un rêve, l’irruption d’un cheval vient donner le signal d’une procession de la lumière qui traverse le village jusqu'au stade. Là, fin du rituel du feu, un immense brasier symbolisant le soleil est allumé... Et au moment où chaque « gens de la nuit » choisit un spectateur et se « rapproche » de lui, commençant à lui enlever ses vêtement pour être fécondés, un klaxon surgit dans la nuit, puis des phares qui font détaler tous les « gens de la nuit ». Le directeur de cabinet de la préfecture suivi d'une cohorte de bus a enfin retrouvé les « naufragés de la nuit ». Toute menace est maintenant écartée, le niveau d’alerte est redescendu à zéro pendant qu’il les cherchait. On peut redescendre sains et saufs dans la vallée, à L'Isle en Dodon.

 

  • 4. LE RETOUR TRIOMPHAL  de 4h30 à 5h30 (Bastide de l'Isle-en-Dodon)

 Le monde des « gens de la nuit » s'est évanoui dans la lumière des phares. Sortie brutale du rêve. Le Directeur de cabinet reprend les rênes. « Bien sûr la soirée prévue avec Pronomades a été annulée, mais on a réussi à préserver le petit-déjeuner à l'Isle-en-Dodon ». Là-bas, en pleine nuit, il est demandé aux spectateurs de faire silence en rejoignant la place centrale pour ne pas réveiller les habitants. Sauf qu'au moment de traverser le bourg, une à une, les fenêtres s'ouvrent sur leurs passages et les habitants, après un moment d'étonnement, crient leur joie de retrouver leurs « naufragés de la nuit » sains et saufs. Peu à peu, c’est bientôt toute la place de la bastide qui est à sa fenêtre pour acclamer le retour de ses « héros ». En 15 mn, on passe crescendo de l'ambiance de la ville endormie à une explosion de joie, un  moment de liesse collective en fanfare et un feu d'artifice inattendu et grandiose en point final….

Il est temps de prendre un petit déjeuner et de reprendre ses esprits...

« Des rives, la nuit », ce fut une expérience hors du commun et un pari réussi qui laisse des traces dans l’histoire d’une compagnie, des traces humaines, des souvenirs pluvieux mais un souffle de liberté inégalé.

 


Des Rives La Nuit a été créé les 18 et 19 juin 2010 sur le territoire de la communauté de communes des Portes du Comminges.


Coproductions : Opéra Pagaï, Pronomade(s) en Haute-Garonne - centre national des arts de la rue et de l'espace public.

Avec le soutien de l'Office Artistique Région Aquitaine (OARA).

La compagnie est en convention avec le Ministère de la Culture et de la Communication-DRAC Nouvelle-Aquitaine. Elle est soutenue par la région Nouvelle-Aquitaine, le Conseil départemental de la Gironde et la Ville de Bordeaux.